Après une année 2023 “Flat, Fast and French”, l’objectif de cette année 2024 était de prendre la direction des montagnes, pour “kiffer” mais aussi pour montrer que je suis capable d‘être assez complet pour performer sur deux Ironman extrêmement opposés tels que le Frenchman (totalement plat) et l’Alpsman (ultra montagneux). Tout ça à un an d’intervalle seulement l’un de l’autre. Ça ne permettait pas une très longue mutation de rouleur à grimpeur pour mes petites jambes!
Place à la montagne donc, avec pour cette année un objectif majeur, sur lequel j’espère jouer les premiers rôles : l’Alpsman Xtrem Triathlon. Un menu des plus copieux avec une natation de 3800m depuis le milieu du Lac d’Annecy vers la plage de Saint Jorioz. Un parcours vélo de 180 kms qui nous emmène dans les montagnes pour un dénivelé positif de 4000m. Et enfin un marathon à terminer “comme on peut” car se concluant par 17 kms de montée pour atteindre le haut de la montagne après avoir englouti les 1400m de dénivelé positif nécessaires pour obtenir le statut de “Top finisher”.
Pour atteindre mon objectif, j’ai mis en place un programme de course allégé et décalé sur cette première partie d’année. J’ai donc dû renoncer à certaines courses de cœur telles que Lacanau, Carcans, mais j’ai pu découvrir de nouveaux spots pour pratiquer le triathlon avec Thouars début Mai et Châtelaillon où je voulais me tester à 15 jours de l’Alpsman. Malheureusement, j’ai dû abandonner sur ce dernier car ayant cassé ma fixation de prolongateurs au 35ème kilomètre vélo. Le problème a été résolu rapidement avec changement de prolongateurs express 6 jours avant l’Alpsman. Un grand merci à Culture vélo, Fred et toute l’équipe, ainsi qu’à Benoît qui a suivi avec moi ce fichu colis en train de voyager dans toute l’Europe! Je ne me présentais donc pas avec une totale confiance car n’ayant pas pu en faire le plein sur les compétitions de préparation mais avec un entraînement solide au cours du mois de Mai au cours duquel j’ai pu passer quelques jours du côté d’Annecy avec ma famille et celle de Félix qui sera mon accompagnant désigné sur la dernière montée du Semnoz à pied. Il est un grand amateur de trail et je suis à peu près son exact opposé. Il a donc accepté avec grand plaisir l’opportunité de me faire souffrir dans cette montée, mais surtout de partager ce moment hors du commun que nous avons vécu pour tenter d’aller (beaucoup) plus vite que lors de l’édition 2018 (spoiler alert : j’ai explosé mon temps de montée de 2018, MERCI FELIX!).
Veille de course, dépôt du vélo et du matériel. Je regonfle mes boyaux et vérifie deux fois chaque serrage de valve. Le temps de descendre à Saint Jorioz en vélo, de prendre le dossard et faire une interview, le boyaux s’était dégonflé. Le stress!!! Mon père, présent sur place, regonfla et resserra la valve, on fera un check le lendemain matin avec une roue de rechange pas très loin si besoin. Repas, dodo, demain il y a course.
3h du matin, au bout d’une très courte nuit le réveil sonne, la mécanique est rodée maintenant, Gatosport, Crème, thé chaud et c’est parti. Dans le parc à vélo : RAS, le boyaux ne s’est pas dégonflé, tant mieux. Place à la course mais avant un peu d’attente sur les eaux claires du lac d’Annecy s’impose.
Il est 4h20 : c’est parti, embarquez avec moi à bord du Libellule.
En montant dans la bâteau : SURPRISE! Les tables et chaises ont été poussées sur les côtés et une grande bâche transparente à été posée à même le sol pour que nous nous y installions. Le confort est rudimentaire, l’ambiance devient plus sérieuse. Pour m’éviter 1h à croiser des regards parfois terrorisés, je ferme les yeux et pense à la journée qui m’attend. Après tout le programme est assez sympa, faire ce que j’aime dans un cadre somptueux. J’arrive à me sentir plutôt bien, serein et en même temps prêt à aller au départ. Je repousse au maximum le moment où je mets la combinaison pour ne pas étouffer dans le bâteau, un dernier regard dehors sur le jour qui se lève puis je saute. L’eau n’est pas froide, je nage jusqu’à la porte de départ et me positionne en première ligne. Je n’entends pas la corne de brume mais je vois que ça part à gauche, alors j’y vais. Je pars sur un bon rythme pour sortir du pack, un groupe se forme très vite derrière un nageur solo qui nous lâche inexorablement, tenter de le suivre ne serait pas une bonne idée. Je fais donc la partie natation dans ce groupe, appliqué sur les coups de bras, la direction à prendre et en essayant de compter le nombre de laps de 200m qu’a fait ma montre pour avoir une idée d’où nous en étions (je n’ai pas réussi bien longtemps). Lorsque nous revoyons ce bon vieux Libellule accosté à l’embarcadère de Saint Jorioz, je sais qu’il ne reste pas plus de 800/1000m avant la sortie de l’eau. Certains accélèrent un peu pour marquer la fin, je les suis en restant dans les pieds sans chercher à sprinter pour sortir 2ème, la course est encore très longue.
Transition rapide et je saute sur mon vélo, en 3ème position, après que Théo Debard ait fait une transition express. Je sais qu’il appuie très fort à vélo, il part sur une allure beaucoup trop élevée pour moi et sur Ironman surtout. J’essaye de ne pas y penser pour rester dans ma course et ne pas rentrer dans une bagarre trop prématurément. La première montée vers le Semnoz se dresse devant nous dès la sortie du parc à vélo. Les jambes sont très moyennes, je suis dans la puissance cible mais je sens que ce n’est pas la sensation de facilité qui m’habitait en 2018 lors de mon précédent Xtrem de l’Alpsman. Je double le concurrent sorti en tête de l’eau et le félicite pour sa natation. J’ai la moto caméra à côté de moi, la voiture ouvreuse devant, ce qui m’étonne car je sais que Théo est sorti avant moi du parc et parti comme une fusée. Mais voilà qu’au bout de 15kms j'entend quelqu’un revenir, c’est Théo! Il a fait un tout droit et a dû faire demi tour pour revenir sur le parcours, j’étais donc en tête avant ça. Il va trop vite dans la montée sans pour autant me prendre beaucoup de terrain, chacun à notre rythme nous gérons au mieux pour garder de la place pour le dessert corsé de cette épreuve. En haut du Semnoz, j’aperçois quelques lacets plus bas la trifonction rouge de Thomas Lemaitre, triple vainqueur de l’épreuve et grand favori car invaincu ici. Le match est lancé, ça me semble être un podium plutôt cohérent qui tient la barre à l’avant. Mais voilà un temps faible qui arrive pour moi, dans la descente du Semnoz, j’ai un coup de moins bien, les bras qui deviennent faibles, le ventre qui me fait mal, un mal de tête qui s’installe. J’essaye de canaliser le peu de force encore présent pour rester lucide dans la descente mais le bilan est très moyen, seulement 30kms de fait à vélo et je suis dans un mauvais état. Je me demande comment je vais pouvoir aller au bout, les pensées noires me pourchassent. Je pense ne plus avoir ce qu’il faut pour me faire mal sur cette épreuve, ça arrive d’être moins bien à vélo, si tu es malade autant abandonner… Impossible, j’ai embarqué Félix dans l’aventure, il n’a pas traversé la France pour me voir mettre le clignotant. Alors j’avance, dans ma bulle chaque kilomètre parcouru semble m’éloigner de ces pensées et des douleurs perçues durant la partie Semnoz à vélo. La montée vers Plainpalais me fait du bien, ça semble aller mieux, la pluie fait alors son apparition. Je prends un petit coup au moral car celà signifie plus de danger dans les descentes et moins de vitesse également. La troisième montée vers Aillon le Jeune est quant à elle plus roulante, c’est là que je me rends compte que les jambes se sont débloquées, j’arrive à emmener du bon braquet et être dans les watts avec de bonnes sensations, reste à refaire ce tour (Plainpalais-Aillon Le Jeune) et le vélo sera presque terminé. Fin de la première boucle, je m’arrête au ravitaillement perso remplacer mes deux bidons vides par deux pleins. Ca cafouille, ça m’énerve mais je me rends compte dans l’énervement que l’énergie est là, le moral est remonté et les jambes sont maintenant dispo et prêtes à envoyer. Cette deuxième boucle se passera bien, les concurrents du Half parti à 9h30 nous y ont rejoints, je ne fais que doubler, ça occupe pas mal la tête et la concentration pour éviter de penser à la solitude d’un Ironman sur lequel je n’aurais pas vu grand monde du format Xtrem. Sur le retour vélo, passé le 160ème kilomètre, les jambes commencent à n’en plus pouvoir, j’appuie comme je peux mais le Garmin ne ment pas, les watts ne montent plus. J’ai beau me battre c’est très compliqué de faire les montées dans la cible. Je ne réfléchis plus, j’avance vers la descente salvatrice du 170ème kilomètre qui doit me permettre de refaire un peu surface avant le marathon.
Fin du vélo, enfin, c’était long et pas le meilleur vélo que j’ai pu faire en termes de sensations, ni de météo. j’enfile les chaussettes, baskets, casquette, lunettes, ravito et c’est parti.
Les premières foulées sont grisantes, j’ai la foulée légère, la respiration est fluide, le haut du corps relâché et les fessiers qui m’avaient fait souffrir en 2018 après le vélo sont totalement opérationnels. Je garde en tête que c’est long un marathon alors je prends un rythme gérable sur du long autour de 4’10-4’15/km. Seul le ventre me fait douter, il est raide et douloureux. Je force la respiration pour l’assouplir puis me concentre sur ma technique de course et rien d’autre, ce qui me permet d’oublier cette douleur assez efficacement. Passage au ravitaillement du 6ème kilomètre, je sors mon gobelet souple pour me faire servir un coca et ça repart. A noter que l’organisation a supprimé tous les gobelets des ravitaillements, c’est une excellente chose, chaque concurrent doit donc s’arrêter remplir son gobelet et repartir sans rien jeter. Ça évite un bon millier de déchets tout en préservant l’équité de la course. C’est une nouvelle règle à instaurer si on veut pouvoir pratiquer notre passion dans un environnement préservé. Fin de la parenthèse. Je termine ce premier tour de 8kms requinqué. Plus de douleur au ventre, les jambes sont encore meilleures qu’au départ du marathon et l’ambiance est top. On m’annonce que Théo n'est vraiment pas loin et que je suis revenu très vite dessus. Je croise Alain qui est en feu et me dit que c’est tout bon car je suis presque rentré en un tour seulement. En effet, je double Théo dès le départ de cette seconde boucle. Au milieu du 2ème tour le ventre me rappelle à l’ordre mais cette fois pour un besoin naturel. Je profite du ravitaillement pour remplir mon gobelet ET vider mon ventre puis ça repart. Ce deuxième tour se déroule vraiment bien, je poursuis mon chemin, concentré et en toute confiance. Le 3ème sonne le dernier tour au bord du lac, à chaque passage du parcours, je sais que je n’y repasserais pas et que je serais bientôt accompagné, ça donne une motivation supplémentaire. La gravité terrestre commence malgré tout à me rappeler à la réalité. Les rebonds sont un peu moins légers, j’avance quand même sur la vitesse de croisière de 4’15/km. Je change de chaussures et prend le sac de trail pour l’hydratation dans la montée et c’est parti direction la cloche que je sonne…ah bah non, premier coup de cloche raté, je m’amuse à m’acharner dessus pour qu’elle sonne et manque de la faire basculer. J’ai le sentiment que l’histoire se répète, la cloche sonnée en tête, la montagne face à moi. Je me donne 50% de chance à peine de changer la fin de l’histoire tellement la fatigue est présente. je me bat pour courir avec Félix à côté de moi alors que nous ne sommes encore que dans le faux plat montant sur la route. Les muscles doivent s’habituer à la montée me dit-il, ce qui est vrai et qui me permet de me projeter un peu en avant, positiver. Nous attaquons enfin les premières vraies pentes, Félix ne fait que de m’encourager, me soutenir pour me sortir de ma zone de souffrance. Et là, énorme surprise, il me dit “Lève la tête, regarde ils sont là”...Il avait placé une pancarte de la team des 6garillos que nous avions formée au T24 il y a un an tout pile. Ça me fait vaciller émotionnellement et me donne en même temps un regain de rage et d’envie. Je ne pense pas lui avoir répondu quelque chose, je n’arrivait pas à parler à ce moment-là, un peu chamboulé par cette émotion positive. Il ajoute ensuite “Ils vont tous être avec toi tout au long de la montée”. C’est une énorme attention qu’il a mise en place, je n’aurais pas pu trouver meilleur accompagnant et je le savais avant même le départ de la course. Les parties raides me permettent parfois de marcher, récupérer un peu, et repartir en courant. Mais j’ai aussi des temps très faibles où la tête se met à tourner, l’énergie est absente et mon ventre me donne des hauts le cœur. Les crampes montent également dans les mollets sur les parties raides lorsque je tente de pousser un peu plus fort et de cadencer. Je joue continuellement avec la limite, avancer coute que coute et faire sauter un maximum les barrières physiques et mentales, je n’ai plus que ça en tête. Félix me donne des conseils sur les parties grasses en descente comme en montée. “Gauche”, “Droite”, “Attention ça arrive” pour ceux du Half que nous doublons en nombre dans la montée. Je passe symboliquement en tête le passage sur lequel je m’étais fait doubler en 2018 mais voit revenir Thomas Lemaitre au ravitaillement suivant. il me double peu après et prend un petit peu d’avance. Je cherche surtout à faire ma montée le plus vite possible. Je vois au loin que dans une partie à suivre sur laquelle on peut courir, il ne relance pas très fort et je rentre sans chercher à revenir trop rapidement. Je le repasse mais malheureusement une zone pentue se dresse encore devant nous. Parties sur lesquelles il est très très fort. Ce sera dans ces parties de marche rapide qu’il creusera l’écart en habitué des trails qu’il est. Arrive ensuite le pierrier de l’enfer. Une partie de 3kms environ sur laquelle il n’est plus question de courir et où il faut crapahuter et lever parfois haut les genoux pour passer des très grosses pierres.Je demande environ 46 fois à Félix si on arrive au dernier ravitaillement qui signe la fin du pierrier, il me répond 46 fois “Encore un peu, on y arrive”, ce qui me fait dire à chaque fois intérieurement, “C’est pas bientôt fini ce chantier!!!”.Une fois le dernier ravito arrivé, je m’arrose, bois et repars attaquer la dernière pente avant la prairie finale de laquelle l’arrivée est en visuel. J’y cours/marche puis recours pour atteindre cette finish line positionnée en haut d’un dernier mur à escalader presque à 4 pattes. La délivrance est énorme, podium bel et bien atteint avec une sacrée 2ème place. La gagne aurait été possible sans un Thomas Lemaitre vraiment énorme et sur SON épreuve car toujours invaincu là-bas. J’avais soufflé à Félix “On passe ensemble, tu restes avec moi” et on a franchi cette ligne bras dessus, bras dessous. Il me soutient encore une fois la ligne franchit, lui qui vient de se taper 17kms de montée, il doit encore supporter mes 70kgs car je me repose de tout mon poids sur lui pour tout relâcher au terme de cette journée de montagnes russes au propre comme au figuré.
Voilà, cette aventure fut encore une énorme tranche de vie comme je les aime, partagée en famille, entre amis et entre passionnés du triple effort, concurrents comme organisateurs. Je n’oublierais pas ici Pierre-Yves et Ludo qui m’accueillent à chaque fois avec un plaisir et une gentillesse non dissimulée.
Manu, Marlène, Fred, Cyril, Benoit, Eric, Yannick, Thomas, Gwen, Arnaud, GM, David, Flora, les copains, copines, ma chérie, les enfants, la famille : On l’a fait!